mercredi 4 novembre 2009

Natalie Paley

La femme qui, avec Gabrielle Chanel, a incarné le chic le plus absolument parisien, était russe. Princesse russe d’un chic affolant, Natalie Paley fut l’emblème des années 20 et 30. Née à Paris en 1905 , fille du grand-duc Paul Alexandrovitch de Russie (1860-1919), Natalie Paley, princesse Romanoff, est aussi la petite-fille du tsar Alexandre II. Elle passe une partie de son enfance à Paris, dans une vaste demeure de Boulogne-sur-Seine avec ses parents, sa sœur Irina et son frère adoré Vladimir. La famille a quitté la France en 1914 pour se réinstaller en Russie dans le palais du grand-duc Paul à Tsarskoïe Sélo (le « village du tsar »), qui comptait soixante-quatre domestiques, des vastes pièces et bien des trésors. Entre-temps la révolution se préparait et Raspoutine s’infiltrait dans les arcanes du pouvoir impérial. Le grand-duc Dimitri , demi-frère de Natalie participa à son meurtre et dut fuir sur le front de Perse. En 1918 la famille était prisonnière des Bolcheviks. Le grand-duc fut arrêté et les femmes séquestrées dans le palais envahi par des soldats brutaux, pillards, qui les insultent sans cesse. Est-ce parce qu’elle fut traumatisée par la brutalité de ces hommes - on raconte même qu’elle fut victime d’un viol collectif – que Natalie Paley, des années plus tard, ne tombera amoureuse que d’homosexuels, se refusant obstinément aux hétéros, trop pressés de la déshabiller ?

Le grand-duc Paul fut exécuté, le frère de Natalie, Vladimir, fut jeté vivant dans un puits de charbon avec d’autres aristocrates russes. Natalie et sa sœur s’échapperont de Russie et regagneront la France en 1920, rejointes par leur mère, brisée. De toutes ces atrocités, Natalie Paley dira en 1933, dans une interview, donnée à Cinémonde : « A douze ans, je portais du pain en prison à mon père. Comment aurais-je pu ressembler à mes petites compagnes ? J’étais silencieuse, je ne jouais pas. Par contre, je lisais beaucoup. J’avais vu la mort de si près : mon père fusillé, mon frère, mon cousin, mes oncles fusillés, tout le sang des Romanoff, en caillot, sur mon adolescence… cela me donnait le goût des choses tristes, le goût de la poésie aussi, cette antichambre glacée et fulgurante de la mort. »

Le mariage de Natalie Paley avec le grand couturier Lucien Lelong en août 1927 l’introduisit dans le cercle de la bohème et de la mode. Ce monde des raffinements, des libertés et du goût, poussé aux extrêmes fut nommé la Café-Society de l’entre-deux guerres. Natalie a marqué ces années folles de sa grâce féline, de sa silhouette androgyne, de son goût de la fête, de son élégance subtile et de sa mélancolie. Elle marqua de son mystère la mode, la littérature et le cinéma de son temps. Elle fut l’égérie de Lelong ( elle travaillait chaque jour pendant des heures dans les somptueux bureaux du 16, avenue Matignon, elle définit son style, devient l’ambassadrice de la maison), elle fut l’amour du danseur Serge Lifar, de Jean Cocteau, Paul Morand (qui s’est plaint d’être « soigné au fer rouge », Natalie lui dira :« Je t’aime tant que je n’ai pas envie de toi.»), Antoine de Saint-Exupéry, Erich Maria Remarque, elle a séduit Charles Boyer et Luchino Visconti, fut photographiée par les plus grands, Steichen, Horst, Hoyningen-Huene, Cécil Beaton, fut l’amie intime de Marlène Dietrich, de Katherine Hupbern, du dramaturge anglais Noel Coward, elle tourna avec Marcel L’Herbier et George Cukor… Elle divorce de Lelong en 1937 et épouse le producteur (et ex-amant) de Noel Coward, John Chapman Wilson. Elle s’installe avec lui à New York, Park Avenue, où elle travaille un peu pour le couturier Mainbocher er reçoit beaucoup chez elle leurs amis de la café-society.

Sa silhouette androgyne et son goût ont annoncé l’avènement de la modernité la plus radicale. « Avant le dîner, dans son costume de ski, sous ses longues tresses brillantes, on eût dit un jeune archer fragile et victorieux… deux heurs plus tard, elle était, avec quelque charmante robe, noire ou blanche, comme la forme incertaine d’un long vase étiré dont la précieuse matière est encore en fusion et qui, dans un court instant, va naître pout toujours. » (Henri Bernstein, Vogue Paris août 1930).

L’une des plus belles femmes des Années Folles, qui a autant cherché à être vue qu’à se voir elle-même à travers les autres, finira aveugle, recluse dans son appartement new-yorkais de Park Avenue. Natalie Paley s’éteint le 21 décemebre 1981. Elle reste à jamais une héroïne de roman russe, une princesse en exil, beauté mélancolique qui, comme toutes les femmes fatales, affichait une image de perfection pour mieux cacher les blessures profondes.

« Ma bien aimée, je n’ai pas usé de ce mot depuis longtemps. Je me réjouis de sa douceur comme d’un cadeau de Noël. Tu sais, hier soir, je me suis senti comme l’ouvrier d’un faubourg de suie et de tôle qui se découvre allongé dans une prairie le long d’un ruisseau aux cailloux blancs. Alors vite il ferme les yeux pour enfermer en soi le paysage de miracle.

Mon ruisseau frais aux cailloux blancs, mon eau courante, ma bien aimée… »

Lettre de Antoine de Saint-Exupéry à Natalie Paley. 1942

8 commentaires:

Soizic a dit…

Comme Coco Chanel, elles ont la grâce personnalisée.
Ces photos année 30 sont toujours sublimes.
Pour faire de telles photos il faut véritablement aimer les gens.

souad a dit…

Cet article est vraiment interessant et très bien écrit,je ne connaisais que vaguement Natalie Paley.
J'ai souvent la sensation que certaines femmes des années 30-40possèdent un potentiel de romanesque et de tragique peu égalé, tout est là l'Histoire, le destin à la fois cruel et etonnant, les Amours troubles, l'Art et l'Intellignece.
les images me font penser à Peggy Guggenheim photographiée par Man Ray bien qu'elle soit d'une autre forme de beauté.
Bonne soirée !

Vertiginoso a dit…

Mmm une trajectoire Vraiment Passionnante, flamboyante métaphore des racines Tragiques du "Futile" (Terme évidemment extrêmement réducteur) ?
ps: On comprend son aura de Muse et de Séductrice à la vue de son portrait, tout en vénéneuse mélancolie . . .

à Bientôt, Antoine

Adelina a dit…

Soizic, ces photos sont sublimes! Je rêve d'arriver un à faire des photos comme ça.

Souad merci! Cette période de l'Histoire est marquée par la tragédie. Je suis admirative des femmes de cette époque. Les femmes qui ont résisté à la barbarie avec force et élégance.

Antoine, le distin de Natalie Paley est tragique est romanesque. Les supplices de cette femme étaient d'autant plus cruelles , car elles étaient alternés par des moments des délices les plus exquis. Ce qui lui a donné cet air de beauté tragique.Quand on regarde ses photos on a l'impression que d'un instant à l'autre elle va éclater en sanglots.

Bulotte a dit…

Raaaah Adelina,apprends nous encore ces grâces d'un autre temps. J'adore lire ces "petites histoires vraies". Merci !!

Adelina a dit…

Merci Bulotte! Je vais continuer, ca je suis fascinée par la vie des femmes qui ont marqué l'Histoire et l'Art par leur grâce.

Anonyme a dit…

Chère Adelina,

Merci et félicitations pour cet article concernant Natalie Paley dont je ne connaissais ni l'existence ni la destinée. Comme quoi l'exception n'est pas toujours heureuse.

Bravo pour S. Zweig qui est très intéressant à propos du schéma corporel que l'on peut faire de soi-même...

Félicitations pour le style superbe.
La culture et le raffinement vous caractérisent...
Câlins à Anastasia!
Marido

Adelina a dit…

Merci Marido!